Lettre conjointe sur les défenseurs deS droits humains en Syrie
Dans quelques jours vous recevrez votre homologue syrien, le Président Bachar Al-Assad. Dans le cadre des entretiens que vous aurez avec lui, les organisations de défense des droits de l’Homme signataires de cette lettre souhaitent attirer votre attention sur la détérioration continue de la situation des droits de l’Homme en Syrie.
La Fédération internationale des ligues des droits de l’Homme (FIDH), l’Organisation mondiale contre la torture (OMCT), la Ligue des droits de l’Homme (LDH), le Réseau euro-méditerranéen des droits de l’Homme (REMDH), Human Rights Watch, Amnesty International France et la Commission internationale des juristes demeurent vivement préoccupés par les violations récurrentes des droits humains et les atteintes graves aux libertés fondamentales enregistrées en Syrie. Nos organisations s’inquiètent particulièrement de la répression subie par la société civile, de la persécution continue des défenseurs des droits de l’homme, et de la main mise du pouvoir sur l’appareil judiciaire, qui bloquent toute perspective de développement de l’état de droit en Syrie.
Le 23 juin 2010, la Cour pénale de Damas a condamné Muhannad Al-Hassani, avocat et défenseur des droits de l’Homme, président de l’Organisation syrienne des droits humains (Sawasiya), à trois ans d’emprisonnement. Il a été reconnu coupable d’ « atteinte au sentiment national » et de « diffusion de fausses nouvelles pouvant affaiblir le moral de la nation » ; son pourvoi en cassation a été rejeté le 29 octobre dernier. Dernièrement, et ce quelques jours après que lui ait été attribué le prix Martin Ennals pour son œuvre de défenseur des droits de l’Homme, M. Al-Hassani a été agressé et battu dans sa cellule. Encore plus récemment, le 26 novembre dernier, la Conférence des avocats du Barreau de Paris a décerné la Médaille pour la défense des droits de l’Homme à M. Al -Hassani, alors que le Barreau d’Amsterdam lui avait accordé, quelques semaines avant, le Dean Award 2010.
M. Haytham Al-Maleh, également avocat et militant des droits de l’Homme de renom, a quant à lui été arrêté le 14 octobre 2009, quelques jours seulement avant la signature programmée de l’Accord d’association entre l’Union européenne et la Syrie. Le 4 juillet 2010, il a été condamné à trois ans d’emprisonnement par la deuxième Cour militaire de Damas, pour « diffusion de fausses informations susceptibles de porter atteinte au moral de la nation ». Son pourvoi en cassation a été rejeté le 19 octobre dernier. M. Al-Maleh, âgé de 80 ans et souffrant de différents problèmes de santé, s’est vu par ailleurs refuser l’accès aux soins médicaux appropriés, notamment l’accès à ses propres médicaments.
Les articles du code pénal syrien sur lesquels sont basées les condamnations de MM. Al-Hassani et Al-Maleh, ainsi que les dispositions des autres lois d’urgence et d’exception en vigueur en Syrie, sont régulièrement utilisés par le pouvoir judiciaire à l’encontre des défenseurs des droits de l’Homme. Nos organisations ont à de nombreuses reprises dénoncé l’instrumentalisation de la justice syrienne à des fins politiques dans le but de faire taire la voix de la société civile.
Le 27 juillet 2010, la Haute représentante de l’Union européenne, Catherine Ashton, a « vigoureusement condamné le fait que M. Haytham Al-Maleh et M. Muhannad Al-Hassani, deux avocats syriens, aient été condamnés sur la base de charges retenues contre eux en violation de leurs droits fondamentaux et de leurs libertés fondamentales. » Le 9 septembre dernier, le Parlement européen « exprimait sa profonde inquiétude quant à la situation de M. Haytham Al-Maleh », et « exhortait [le gouvernement syrien] à libérer immédiatement la totalité des prisonniers d’opinion, notamment MM. Muhannad Al-Hassani, Ali Al-Abdallah, Anouar Al-Bunni, Kamal Labwani ». M. Ali Al-Abdallah est membre du Conseil national de la Déclaration de Damas détenu depuis décembre 2007 et dont la France assurant alors la Présidence de l’Union européenne avait dénoncé la condamnation, M. Anouar Al-Bunni est le dernier signataire de la Déclaration Beyrouth-Damas à être détenu et Dr. Kamal Labwani est le fondateur du Rassemblement démocrate libéral détenu depuis 2005. MM. Abdulhafiz Abdul Rahman, membre du conseil d’administration du Groupe Kurde pour la défense des droits de l’homme MAF, Mustapha Ismail, un avocat qui s’occupe des droits de l’homme, Habib Saleh, écrivain et analyste politique, demeurent, eux aussi, injustement emprisonnés.
Monsieur le Président, vous avez joué et continuez de jouer un rôle central dans la reprise du dialogue avec les autorités syriennes, que ce soit au niveau bilatéral ou en tant qu’initiateur de l’Union pour la Méditerranée. Cette nouvelle rencontre avec le Président Al-Assad en est une nouvelle illustration. Ce dialogue avec les autorités syriennes ne doit pas se faire au détriment des défenseurs des droits de l’homme et autres représentants de la société civile qui œuvrent pour la promotion et la consolidation des principes de l’Etat de droit et des droits de l’Homme en Syrie. Nos organisations vous appellent à nouveau à cette occasion à « défendre les droits de l’Homme partout où ils sont méconnus ou menacés » comme vous vous y êtes engagé dans votre discours inaugural.
Nos organisations vous demandent en particulier d’intervenir auprès du Président Bachar Al-Assad pour que MM. Muhannad Al-Hassani, Haytham Al-Maleh, Ali Al-Abdallah, Anouar Al-Bunni, ainsi que tous les autres défenseurs syriens des droits de l’Homme arbitrairement détenus ou emprisonnés, soient libérés.
Votre intervention nous semble d’autant plus fondamentale que, d’après nos informations, cette visite se déroulera le 9 décembre, Journée internationale des défenseurs des droits de l’Homme, et qu’il serait ainsi choquant que la situation des défenseurs dans ce pays ne soit pas évoquée avec votre homologue.
Confiants de l’attention que vous voudrez bien porter à notre requête, nous vous prions d’agréer, Monsieur le Président, l’expression de notre haute considération.
Souhayr Belhassen, présidente de la FIDH
Geneviève Garrigos, présidente d’Amnesty International France
Eric Sottas, secrétaire général de l’OMCT
Jean Pierre Dubois, président de la LDH
Kamel Jendoubi, président du REMDH
Jean-Marie Fardeau, directeur France de Human Rights Watch
Said Benarbia, conseiller juridique de la Commission internationale des juristes